Apprendre plus, mieux, et encore

Dans ma REPpublique à moi, comme dans toutes les REPpubliques de France, la rentrée approche. Dingue ce que ce mot inspire. Angoisse et joie. Espoirs et craintes. Mensonges et vérités.

Mais oui, mais oui, les vacances sont finies.
Mais oui, mais oui, les parents sont ravis.
Mais oui, mais oui, les enseignants aussi.

Si si, même qu’on a déjà retrouvé nos copains d’école, ces jours-ci.
C’était un peu vide, l’école, sans eux, mais c’était sympa de se retrouver, de déballer, de découper, de coller, de ranger, de préparer, de prévoir, de recommencer, de discuter, d’en reparler.
De les imaginer, de tout penser pour qu’ils soient contents d’être là, qu’ils aient envie d’y revenir et qu’ils en repartent un peu plus forts, un peu plus heureux, un peu plus riches.

Et eux, alors, en attendant, ils font quoi ?
Ils nous imaginent, eux aussi ?
Ils ont hâte, eux aussi ?

Ils angoissent, peut-être un peu.
Surtout ceux qui vont entrer à la « grande école ».
Les adultes leur en ont parlé tout l’été.
« Le CP ?? Ah mais tu es un grand maintenant ! »
« Le CP ! Ca ne rigole plus là, va falloir s’y mettre ».
« Ta fille entre au CP, je te préviens, tu en as pour une heure de devoirs chaque soir ! »

Mais non, mais non, ne faites pas ça, ne dites pas ça.
Mais non, mais non, l’école ne va pas, tout à coup, devenir triste et difficile.
Mais non, mais non, ils n’ont pas fini de rigoler, de s’amuser, de jouer.

Dites lui qu’il est devenu grand, oui.
Ne lui dites pas que devenir grand, ça veut dire ne plus rire.
Ne lui dites pas qu’entrer à l’école des grands, c’est renoncer à prendre du plaisir.
Dites lui que maintenant qu’il est grand, qu’elle est au CP, elle va pouvoir apprendre encore plus, encore mieux, encore et encore.

Chaque année, chaque rentrée, chaque matin, il y a cette petite phrase qui m’horripile.
Ces quelques mots qui me hérissent le poil, et même le cheveu blanc, avec l’âge. Ils sont tellement faux, tellement insensés, tellement néfastes, même : « Travaille bien ! » et la version du soir, qui arrive parfois avant le bonjour « As-tu bien travaillé ? ».

Non, à l’école, les enfants ne travaillent pas.
Ce sont les enseignants qui travaillent.
A l’école, les enfants jouent, s’amusent et surtout, ils apprennent.
Ils ne travaillent pas « bien » ou « mal ».
Ils apprennent un peu, ou beaucoup, c’est tout.
Et c’est déjà énorme.

Pour cette rentrée, on pourrait faire un truc chouette.
On pourrait juste leur souhaiter, à tous, de s’amuser, de jouer et d’en profiter pour s’enrichir.
Si on leur disait que grâce à l’école, ils seront les plus riches du monde.
Les plus riches d’avoir appris.
Et d’avoir aimé apprendre.

Votre correspondant n’est pas disponible pour le moment.

Dans ma REPpublique à moi, la communication, on adore, vraiment. Mais parfois, on galère, beaucoup.

On ne l’a pas entendu tout de suite. Forcément, on était en train de répéter ensemble « La Croisade des Enfants » avec le vrai Jacques Higelin, vivant, sur l’écran du TBI.

Tout le monde chantait, même A., le Syrien, qui arrivait à bredouiller quelques mots.
E., arrivé d’Albanie il y a un mois tout juste, fredonnait. Je n’étais pas très loin de lui et j’ai entendu quelques mots justes, dans sa voix.

On chantait, donc. Et on ne l’a pas entendu.
Quand la musique s’est arrêtée, que les enfants se sont calmés, on a commencé à se dire que ce bruit-là n’était pas ordinaire.

Ce n’était pas le mien. Le mien, il chante un morceau de Broken Back, Halcyon Birds, j’adore.
Non, celui-là, il faisait juste Biiiiiiiiip, Biiiiiiiiiiip.
On s’est tous regardés. Pas E., il regardait ses pieds, et a commencé à poser ses mains sur ses joues, toutes rouges.

Je me suis approchée de lui, puis de son cartable.
Ca venait bien de là.
E. m’a regardé et a glissé sa main dans le sac.
Ca sonnait encore, et encore.

« Maman » a t-il réussi à bafouiller, honteux.
«Téléphone, école, NON », lui ai-je répondu, avec des gestes.
« D’accord, d’accord ». Il a raccroché.

J’ai pris l’appareil sur mon bureau.
Il a sonné, sans discontinuer, pendant près d’une demi-heure.
A moitié lassée, à moitié inquiète, j’ai fini par me dire que ça devait être important, alors j’ai répondu.

« Allo ?
– Allo ? Dfsqfqsfbuigouygbyugdbv fdsfqdqfqsibhidsqfg fdshquifhduiqbfds fdsqdfuidsqfu E.
– Je ne comprends pas l’Albanais, je suis désolée.
– Fdqsfdq fdsqfdi fdsqfdi fdsqfdi fdqsfdi fqsdfqser E., E., E. »

Je suis allée chercher E., lui ai passé le téléphone.
Ce qu’ils se sont dits, évidemment, je n’en sais rien. Mais ça a duré un long moment. Toute la classe écoutait, médusée.

E. a fini par raccrocher.
Il est retourné à sa place.
Il a mis ses cahiers dans son cartable, sa veste sur son dos et est sorti de la classe.

« E., tu vas où ? L’école n’est pas terminée, il reste une heure de classe.
– Maman, téléphone !
– Oui, E., j’ai bien compris que c’était Maman au téléphone mais pourquoi tu t’en vas ?
– Maman, école ! »

E. me montre la rue, le portail. Je descends avec lui. On attend quelques minutes. C’est long, je ne sais pas ce que je fais là.
Maman finit par arriver, avec un homme, dans une grosse voiture.
Ils ne se garent pas, ne descendent pas de la voiture.
L’homme klaxonne. Maman me fait coucou, avec un grand sourire.
E. monte dans la voiture, fait un signe de la main : « A bientôt, maîtresse ! » et s’en va.

Et ça, tu le dis comment, toi ?

Dans ma REPpublique à moi, pas de langue officielle. Toutes les langues sont acceptées, à condition qu’on les partage et qu’on les vive.

Ils sont assis à la même table parce que, forcément, ils ne font pas le même travail que les autres.
A., Syrien, R., Syrienne aussi et E., Albanais.
Ils sont arrivés quasiment le même jour.
Pas le même voyage, pas les mêmes souvenirs, mais c’est pas grave. Ils sont là, tous les trois, avec nous.

Il y a un mot qu’ils savent tous dire, très vite. Ce n’est pourtant pas le plus facile à prononcer.
Maîtresse. Ils l’aiment bien ce mot, ils le répètent souvent.
Quand ils ont fini ce que je leur ai demandé de faire, que je ne suis pas disponible tout de suite, parce que je fais de la grammaire avec les autres.
Maîtresse, Maîtresse, Maîtresse.

Parfois je les observe, simplement. Je les regarde ouvrir grand leurs oreilles, plisser leurs yeux quand M. récite sa poésie ou quand L. fait un exercice de conjugaison au tableau.
L’autre jour, pendant que je les observais, A., Syrien, chuchotait quelque chose à l’oreille de E. Albanais. Je me demande bien ce qu’il a réussi à lui dire, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a réussi, parce que E., il a ri.

Vendredi, comme des stagiaires prenaient la classe pour s’essayer, je me suis assise avec eux et on a joué. Une grande image avec des morceaux manquants, comme un puzzle, puis des petites cartes avec le morceau qui manque et le mot, écrit en-dessous. A chaque fois que l’un d’entre eux retrouve la bonne carte, je lui demande de prononcer le mot, en Français, plusieurs fois. Ensuite, je leur demande de m’apprendre le mot dans leur langue et je prononce, tant bien que mal, moi aussi.

Ils se sont moqués, plusieurs fois. J’ai laissé faire. J’ai même ri avec eux.

E. vient de trouver la carte avec une voiture.
« Voi-ture, dis-le, Voi-ture.
L’Albanais se concentre et répète « Voi-ture ». Il se débrouille bien.
– Voiture, en Albanais, comment ça se dit ?
E. sourit, me regarde avec un air malicieux et répond : « Mercedes », en éclatant de rire.